Me Audin nous a demandé de rédiger une nouvelle fantastique et/ou science-fictionnelle de deux pages maximum, dont la finalité serait le tableau Le Déjeuner sur l'herbe de Manet.
Autant que je
m’en souvienne, j’ai toujours été attirée par la peinture, raison pour laquelle
je suis devenue historienne de l’art. Je ne savais pas, à l’époque, que cette
passion changerait ma vie. A tout jamais.
Tout a
commencé un jour pluvieux de novembre, alors que je visitais une galerie d’art d’Oslo. Ayant repéré un tableau de loin, je
m’approchai et l’observai attentivement. Il s’agissait du tableau intitulé Solitude d’un peintre que j’aimais
beaucoup : Paul Delvaux. Mon visage n’était plus qu’à trente centimètres
de celui-ci lorsque la jeune fille représentée sur la peinture se retourna et
me fixa dans les yeux. Son regard dégageait beaucoup de malice, et, après
m’avoir fait un clin d’œil, elle reprit sa position initiale sur la toile. Je
me tournai afin de vérifier si j’avais été la seule à remarquer que le tableau
avait pris vie, et cela se confirma lorsque je remarquai que j’étais à présent
seule dans la petite pièce. Je sentis qu’il fallait absolument que je sorte,
que je reprenne mes esprits.
Après tout,
j’étais tellement fatiguée ces jours-ci que j’avais sûrement rêvé. On m’avait
diagnostiqué un cancer de la peau quelques mois auparavant, et j’avais à
présent la sensation de vivre dans une bulle, étant très affaiblie par le lourd
traitement qui devait rallonger ma vie de quelques mois. Avant de mourir, je
m’étais fixé un objectif : voir de mes propres yeux les toiles que
j’aimais le plus.
Le lendemain,
je pris l’avion pour Figuéres, où je comptais visiter le musée consacré à
Salvador Dali, l’un des plus grands peintres surréalistes. Je fus émue de voir
ce magnifique bâtiment, et y entrai avec une grande impatience. J’avais rêvé de
cet instant depuis tellement d’années ! Après deux heures passées à parcourir
le musée, je trouvai enfin ma toile favorite : La tentation de Saint-Antoine. Tout à coup, je vis les éléphants
bouger, retombant sur leurs pattes et me projetant des rafales de sable sur le
visage. Je dus cligner plusieurs fois des yeux pour me débarrasser des petits
grains qui s’y étaient incrustés. Je les rouvris et continuai à regarder cette
toile qui s’animait devant moi. La jeune femme nue dansait à présent, comme si
elle voulait s’offrir à moi. Gênée par cette scène, je fermai les yeux un
moment en espérant que, quand je les rouvrirai, la toile serait redevenue
inanimée. Ce fut le cas.
Je commençais
alors à me poser plusieurs questions. Pourquoi ces toiles
s’animaient-elles ? Pourquoi étais-je la seule à le remarquer ? Y
avait-il un message caché ? Je rentrai à l’hôtel et m’endormis quelques
heures d’un sommeil parsemé de rêves, de toiles qui s’animent et de questions.
A mon réveil,
je bus un café noir et pris l’avion pour Paris. Aujourd’hui, j’avais rendez-vous
au Musée d’Orsay, où je comptais voir Le
Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet, peintre qui fut le sujet de mon
mémoire. Arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle, je pris ma valise et partis à
la recherche de l’auberge dans laquelle j’avais loué une chambre. Arrivée
là-bas, je fus rassurée de ne devoir passer qu’une nuit dans cette chambre
sale, terne et minuscule. Je décidai de prendre une douche, de manger une
tartine au jambon que je m’étais préparée avant de quitter l’Espagne et de
fumer une cigarette. Je partis ensuite en route pour le musée.
Je payai
l’entrée et me dirigeai directement devant cette toile. Le musée venant
d’ouvrir, j’étais seule dans la salle où celle-ci était exposée. Je remarquai
tout de suite cette femme nue, que j’avais déjà tant de fois observée, et qui
me paraissait maintenant si réelle, si… vivante ! Et, en un instant, tout
vacilla autour de moi. Ma tête tournait, j’avais la nausée et tout devenait
flou. Je pensais alors faire un malaise, et ne me doutais pas de ce qui allait
se produire une seconde plus tard. Je fus littéralement aspirée par la
toile !
J’étais à
présent penchée, tentant de me relever mais me sentant trop faible pour y
parvenir. A ma droite, j’entendais des gens rire et discuter. Je tournai la
tête et vis les personnages qui étaient présents sur la peinture que j’avais
observée un instant auparavant ! La femme était nue, et semblait s’être
offerte à l’homme qui se tenait à sa gauche, un noble dont un ami était
également présent. Tous se retournèrent pour me regarder, un sourire ironique
ornant leur bouche et ne semblant guère surpris de mon apparition.
La femme
m’adressa la parole : « Eléonore, pensais-tu réellement pouvoir
t’échapper ? ». Les souvenirs revinrent alors : j’avais déjà
rencontré ces personnes, et nous avions été très proches lorsque nous n’étions
encore que des adolescents rebelles. Nous
avions l’habitude de nous habiller de vêtements sombres, déchirés et cloutés et
de nous maquiller afin d’effrayer les gens dans la rue, la nuit tombée.
Souvent, Robert et Jean tenaient fermement notre victime dans une ruelle
obscure, pendant que Marie et moi fouillions ses poches à l’affût de bijoux et
d’argent. Celui-ci nous servait à nous procurer des drogues dures que nous nous
injections chaque soir dans les veines. Tout semblait aller pour le mieux,
jusqu’au jour où j’ai découvert, dans la poche d’un homme que l’on volait, un
magnifique cutter. La lame brillait sous la lumière d’un lampadaire, et je ne
pus refreiner une envie profonde : enfoncer cette arme dans son ventre et
sentir son sang magnifiquement rouge et encore chaud se répandre sur mes mains.
J’avais toujours rêvé de voir la vie quitter une personne qui me fixerait alors
dans les yeux sans comprendre ce qui lui arrivait.
Revenant
à l’instant présent, je ne pus alors m’empêcher de demander à Marie ce que nous
faisions dans cette peinture. J’appris alors que, les prisons étant
surchargées, des scientifiques étaient parvenus à trouver une solution :
emprisonner les détenus dans des peintures. Si, par hasard, une personne présente
sur la peinture reconnaît une personne qu’elle a connue et qu’elle sait coupable
d’un délit, elle l’attire inexorablement dans le tableau, qui sera dès lors sa
prison. Jusqu’à la fin des temps.
Quelle fin :-))
RépondreSupprimerUn belle idée de travail...